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nicolas gauthier - Page 24

  • La dignité humaine : une notion fourre-tout ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la notion de dignité humaine, utilisée dans le débat publique pour justifier aussi bien l'interdiction des spectacle de Dieudonné que l'autorisation de l'euthanasie...

     

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    La dignité humaine : une notion fourre-tout

    Manuel Valls a obtenu du Conseil d’État qu’il interdise un spectacle de Dieudonné au motif que celui-ci portait atteinte à la « dignité humaine ». On évoque aussi la dignité humaine à propos de l’euthanasie. L’expression n’est certes pas nouvelle, mais que vous inspire son emploi tous azimuts ?

    La « dignité » fait partie de ces mots dont le sens a complètement évolué au fil des siècles. Chez les Romains, la dignitas est une vertu au même titre que la gravitas ou la pietas. Tous ne la possèdent pas également, car elle s’apparente au mérite. Il y a ceux qui en font preuve, face aux épreuves et aux revers de la vie par exemple, et ceux qui en sont incapables. Chez Montesquieu, la dignité dénote encore la distinction et, en ce sens, elle s’oppose à l’égalité. Mais aujourd’hui, la « dignité » a une tout autre signification. Conformément à la Déclaration des droits de l’homme de 1948 (« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité en en droits »), elle est perçue comme un attribut de l’individu à seule raison de son appartenance à l’espèce humaine, une qualité morale inaliénable liée à son essence qui, à ce titre, exigerait un respect inconditionnel. Tout homme est réputé être détenteur d’une « dignité » intrinsèque inhérente à sa personne, que cette personne s’appelle Staline, Hitler ou Mère Teresa. On ne saurait plus être ontologiquement indigne, la dignité n’étant pas susceptible d’un plus ou d’un moins.

    Il y a donc des façons très différentes de comprendre le concept formel de « dignité humaine ». On le voit bien dans les débats sur la bioéthique, la même expression pouvant être alléguée pour défendre l’euthanasie active (le « droit de mourir dans la dignité ») ou au contraire pour la condamner (« l’égale dignité de toute vie »). En proclamant en 1991 que « la dignité de l’homme tient à son humanité même », le Comité consultatif national d’éthique n’a strictement rien éclairé. Il est tout aussi difficile de faire de la « dignité humaine » un élément constitutif de l’ordre public, à la façon d’un Manuel Valls voulant interdire un spectacle avant même qu’il ait eu lieu, c’est-à-dire pour restaurer la censure préalable. Plusieurs juristes n’ont pas manqué de le souligner. Tel est le cas d’Anne-Marie le Pourhiet, professeur de droit public à l’université de Rennes I, qui n’hésite pas à parler de « notion fourre-tout ». « Ériger cette notion philosophique et morale, éminemment subjective et relative, en norme juridique, écrit-elle, est une folie […] aboutissant à un arsenal répressif menaçant notamment la liberté d’expression. »

    Avant la fin de vie, il y a la vie tout court. La marchandisation des personnes n’est-elle pas une autre forme d’atteinte à la dignité humaine ?

    C’est l’évidence. Les moralistes ont d’ailleurs de tout temps opposé ce qui a un prix à ce qui a une dignité. « Ce qui a un prix, écrit Kant, peut être aussi bien remplacé par quelque chose d’autre, à titre d’équivalent ; au contraire, ce qui est supérieur à tout prix, ce qui par suite n’admet pas d’équivalent, c’est ce qui a une dignité. » Disons que ce qui fait la valeur des individus, c’est qu’ils ne sont pas substituables : de ce point de vue, aucun n’en vaut un autre. Dès l’instant où l’existence humaine est réduite au domaine du calculable, de l’évaluation comptable, dès l’instant où, au lieu de reconnaître que l’homme est une « totalité de sens », comme le disait Hegel, on considère que ce qui n’a pas de sens économique n’en a aucun, on porte atteinte à la dignité humaine. Mais c’est précisément ce que fait le système de l’argent, dont le présupposé implicite est que l’on n’est que ce que l’on a. Soit l’on donne la priorité à l’être, soit on la donne à l’avoir. Nous sommes aujourd’hui dans la civilisation de l’avoir.

    Pour le dire autrement, nous sommes passés d’une époque où l’on était riche parce que l’on était puissant à une époque où l’on est puissant parce que l’on est riche. Comme le disait Jacques Séguéla, « si t’as pas de Rolex à cinquante ans, c’est que t’as raté ta vie ». Les États, quant à eux, vivent désormais dans la dépendance des marchés financiers et des agences de notation. Ne nous étonnons pas que la plupart des démocraties soient devenues de simples oligarchies financières.

    Pareillement, il paraît de plus en plus difficile à de plus en plus de gens de vivre dignement de leur travail. Encore une autre atteinte à cette même dignité humaine ?

    Quand on parle de dignité, il est de coutume de citer la maxime kantienne selon laquelle il faut toujours traiter autrui comme une fin et non comme un moyen (Critique de la raison pratique). Dans les faits, c’est évidemment la pratique inverse qui prévaut. De même que le droit au travail n’a jamais fourni un emploi, la « dignité » qu’on attribue à chacun n’a jamais empêché le capital d’exploiter le travail vivant. De même, si la « réussite » sociale est ce qui s’exprime d’abord en termes monétaires, alors il n’est pas immoral de recourir à tous les moyens pour s’enrichir. Les milliardaires du CAC 40 le savent depuis longtemps.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 16 février 2014)

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  • Comment les USA vont continuer de dépecer l’Europe…

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question du Grand marché transatlantique (GMT)...

     

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    GMT : comment les USA vont continuer de dépecer l’Europe…

    Alors que François Hollande vient tout juste d’annoncer, depuis les États-Unis, une accélération des négociations concernant le Grand marché transatlantique (GMT), Alain de Benoist revient pour Boulevard Voltaire sur les conséquences dramatiques d’un tel Traité…

    Le GMT, gigantesque zone de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis, est le grand projet du moment. Mais les médias n’en parlent que fort peu. Pourquoi ?

    Parce que l’opinion est tenue à l’écart, et que les négociations se déroulent à huis-clos. C’est pourtant une affaire énorme. Il s’agit en effet de mettre en place, en procédant à une déréglementation généralisée, une immense zone de libre-échange, correspondant à un marché de plus de 800 millions de consommateurs, à la moitié du PIB mondial et à 40 % des échanges mondiaux. Le projet porte le nom de « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissements ». S’ajoutant au « Partenariat transpacifique » également lancé en 2011 par les États-Unis, il vise à créer la plus grande zone de libre-échange du monde grâce à une vaste union économique et commerciale préludant à une « nouvelle gouvernance » commune aux deux continents.

    En créant une sorte d’OTAN économique, l’objectif des Américains est d’enlever aux autres nations la maîtrise de leurs échanges commerciaux au bénéfice de multinationales largement contrôlées par leurs élites financières. Parallèlement, ils veulent contenir la montée en puissance de la Chine, aujourd’hui devenue la première puissance exportatrice mondiale. La création d’un grand marché transatlantique leur offrirait un partenaire stratégique susceptible de faire tomber les dernières places fortes industrielles européennes. Elle permettrait de démanteler l’Union européenne au profit d’une union économique intercontinentale, c’est-à-dire d’arrimer définitivement l’Europe à un grand ensemble « océanique » la coupant de sa partie orientale et de tout lien avec la Russie.

    Ces négociations se font à haut niveau, sans que les gouvernements concernés aient leur mot à dire. Nouvelle défaite du personnel politique ?

    La « libéralisation » totale des échanges commerciaux est un vieil objectif des milieux financiers et libéraux. Le projet de grand marché transatlantique a discrètement mûri pendant plus de vingt ans dans les coulisses du pouvoir, tant à Washington qu’à Bruxelles. Les premières négociations officielles se sont ouvertes le 8 juillet 2013. Les deuxième et troisième rounds de discussion ont eu lieu en novembre et décembre derniers. Une nouvelle réunion est prévue à Bruxelles en mars prochain. Les partenaires espèrent parvenir à un accord d’ici 2015. Les gouvernements européens ne sont pas partie prenante aux discussions, qui sont exclusivement menées par les institutions européennes. Les multinationales y sont en revanche étroitement associées.

    Sachant qu’à l’heure actuelle, quelque 2,7 milliards de biens et de services s’échangent déjà tous les jours entre l’Europe et les États-Unis, la suppression des derniers droits de douane va-t-elle vraiment changer quelque chose ?

    La suppression des droits de douane n’aura pas d’effets macro-économiques sérieux, sauf dans le domaine du textile et le secteur agricole. Beaucoup plus importante est l’élimination programmée de ce qu’on appelle les « barrières non tarifaires » (BNT), c’est-à-dire l’ensemble des règles que les négociateurs veulent faire disparaître parce qu’elles constituent autant « d’entraves à la liberté du commerce » : normes de production sociales, salariales, environnementales, sanitaires, financières, économiques, politiques, etc. L’objectif étant de s’aligner sur le « plus haut niveau de libéralisation existant », « l’harmonisation » se fera par l’alignement des normes européennes sur les normes américaines.

    Dans le domaine agricole, par exemple, la suppression des BNT devrait entraîner l’arrivée massive sur le marché européen des produits à bas coûts de l’agrobusiness américain : bœuf aux hormones, carcasses de viande aspergées à l’acide lactique, volailles lavées à la chlorine, OGM (organismes génétiquement modifiés), animaux nourris avec des farines animales, produits comportant des pesticides dont l’utilisation est aujourd’hui interdite, additifs toxiques, etc. En matière environnementale, la réglementation encadrant l’industrie agro-alimentaire serait démantelée. En matière sociale, ce sont toutes les protections liées au droit du travail qui pourraient être remises en cause. Les marchés publics seront ouverts « à tous les niveaux », etc.

    Il y a plus grave encore. L’un des dossiers les plus explosifs de la négociation concerne la mise en place d’un mécanisme d’« arbitrage des différends » entre États et investisseurs privés. Ce mécanisme dit de « protection des investissements » doit permettre aux entreprises multinationales et aux sociétés privées de traîner devant un tribunal ad hoc les États ou les collectivités territoriales qui feraient évoluer leur législation dans un sens jugé nuisible à leurs intérêts ou de nature à restreindre leurs bénéfices, c’est-à-dire chaque fois que leurs politiques d’investissement seraient mises en causes par les politiques publiques, afin d’obtenir des dommages et intérêts. Le différend serait arbitré de façon discrétionnaire par des juges ou des experts privés, en dehors des juridictions publiques nationales ou régionales. Le montant des dommages et intérêts serait potentiellement illimité, et le jugement rendu ne serait susceptible d’aucun appel. Un mécanisme de ce type a déjà été intégré à l’accord commercial que l’Europe a récemment négocié avec le Canada.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 13 février 2013)

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  • Logique hygiéniste et État maternel...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque l'empire du Bien et son idéologie...

     

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    Gare à la logique hygiéniste imposée par l’État maternel thérapeutique !

    Vous venez de publier aux Éditions Pierre-Guillaume de Roux « Les démons du bien » , essai dont la première partie se veut une critique radicale de la tyrannie des bons sentiments. A quoi attribuez-vous l’émergence de ce néo-cléricalisme ?

    À l’esprit du temps. Mais l’esprit du temps n’est jamais que la résultante d’une tendance de fond. À partir du XVIIIe siècle, la montée sociale de la classe bourgeoise a simultanément marginalisé les valeurs aristocratiques et les valeurs populaires, en les remplaçant par ce que Tocqueville appelait les passions « débilitantes » : utilitarisme, narcissisme et triomphe de l’esprit de calcul. La vogue de l’idéologie des droits de l’homme a, de son côté, permis à l’égoïsme de se draper dans un discours « humanitaire » dont la niaiserie est le trait dominant. L’accélération sociale et la montée de l’insignifiance ont fait le reste.

    L’un des traits caractéristiques de « l’empire du bien » est cet envahissement du champ politique par le lacrymal et le compassionnel qui fait qu’à la moindre catastrophe ayant une portée médiatique, les ministres se précipitent désormais pour exprimer leur « émotion ». C’est également révélateur de la submersion de la sphère publique par le privé. La vie politique bascule du côté d’une « société civile » appelée à participer à la « gouvernance » par des « demandes citoyennes » qui n’ont plus le moindre rapport avec l’exercice politique de la citoyenneté. Il est désormais beaucoup mieux vu (et aussi plus rentable) d’être une victime qu’un héros.

    Parallèlement, la marchandisation de la santé va de pair avec la médicalisation de l’existence, c’est-à-dire avec un hygiénisme dogmatique qui se traduit par une surveillance toujours plus grande des modes de vie. Elle prescrit socialement des conduites normalisées, cherchant ainsi à domestiquer toutes les façons d’être qui se dérobent aux impératifs de surveillance, de transparence et de rationalité. On assiste à l’instrumentalisation de la vie humaine au travers d’une logique hygiéniste imposée par l’État maternel thérapeutique.

    L’évolution du langage est également significative. On préfère parler désormais de « fractures sociales » – aussi accidentelles en somme que les fractures du tibia – que de véritables conflits sociaux. Il n’y a plus d’exploités, dont l’aliénation renvoie directement au système capitaliste, mais des « déshérités », des « exclus », des « défavorisés », des « plus démunis », tous également victimes de « handicaps » ou de « discriminations ». La notion de « lutte contre-toutes-les-discriminations » a d’ailleurs elle-même remplacé celle de « lutte contre les inégalités », qui évoquait encore la lutte des classes. Dans 1984, George Orwell expliquait très bien que le but de la « novlangue » est « de restreindre les limites de la pensée » : « À la fin, nous rendrons impossible le crime par la pensée, car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. » Le politiquement correct fonctionne comme la « novlangue » orwellienne. L’usage de mots détournés de leur sens, de termes dévoyés, de néologismes biaisés ressortit de la plus classique des techniques d’ahurissement. Pour désarmer la pensée critique, il faut sidérer les consciences et ahurir les esprits.

    Les médias ne cessent de dénoncer la menace de l’« ordre moral », tout en nous faisant en permanence la morale. Paradoxe ?

    C’est tout simplement qu’une morale en a remplacé une autre. L’ancienne morale prescrivait des règles individuelles de comportement : la société était censée se porter mieux si les individus qui la composaient agissaient bien. La nouvelle morale veut moraliser la société elle-même. L’ancienne morale disait aux gens ce qu’ils devaient faire, la nouvelle morale décrit ce que la société doit devenir. Ce ne sont plus les individus qui doivent se conduire de façon droite, mais la société qui doit être rendue plus « juste ». L’ancienne morale était ordonnée au bien, tandis que la nouvelle est ordonnée au juste. Alors même qu’elles prétendent rester « neutres » quant au choix des valeurs, c’est à cette nouvelle morale, fondée sur le devoir-être (le monde doit devenir autre chose que ce qu’il a été jusqu’ici), qu’adhèrent les sociétés modernes. Nietzsche aurait parlé de « moraline ».

    L’essentiel de votre livre porte sur la théorie du genre, dont tout le monde parle en ce moment. Vous avez été l’un des premiers intellectuels à en faire une critique argumentée. Une fois de plus, à quoi attribuer ce phénomène venu des USA ? Et d’abord, de quoi s’agit-il exactement ?

    La théorie du genre est une théorie qui prétend déconnecter radicalement l’identité sexuelle du sexe biologique. Le sexe, remplacé par le « genre » (gender), serait une pure construction sociale. Cette théorie repose sur un postulat de « neutralité » de l’appartenance sexuelle à la naissance : il suffirait d’élever un garçon comme une fille pour en faire une femme, ou d’élever une fille comme un garçon pour en faire un homme. Ceux qui sont d’un avis différent sont accusés de propager des « stéréotypes » (on oublie qu’un stéréotype n’est jamais qu’une vérité empirique abusivement généralisée). Cette théorie a pour effet de confondre les deux sexes et de rendre plus difficile à chacun d’eux d’assumer son identité.

    La théorie du genre est en fait insoutenable. Non seulement son postulat d’une « neutralité sexuelle » originelle ne correspond pas à la réalité, mais on constate que l’appartenance sexuée favorise dès la plus petite enfance, avant tout conditionnement, des comportements spécifiques à chaque sexe. Cela ne signifie pas que les constructions sociales ne jouent aucun rôle dans la définition de l’identité sexuelle, mais que ces constructions sociales se développent toujours à partir d’une base anatomique et physiologique. La théorie du genre confond par ailleurs le sexe biologique, le genre (masculin ou féminin), l’orientation sexuelle et ce qu’on pourrait appeler le sexe psychologique (le fait qu’un certain nombre de femmes ont des traits de caractère masculins, et un certain nombre d’hommes des traits de caractère féminins). Reposant sur l’idée qu’on peut se créer soi-même à partir de rien, elle relève en fin de compte d’un simple fantasme d’auto-engendrement. Il faut pourtant la prendre très au sérieux. Dans les années qui viennent, c’est en référence à elle que l’on va voir se multiplier à l’infini les accusations de « sexisme ».

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 13 janvier 2014)

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  • La lumière reviendra...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré aux racines païennes de l'Europe, à la fête de Noël et au consumérisme...

    Alain de Benoist vient de publier aux éditions Pierre-Guillaume de Roux un essai intitulé Les démons du Bien, dont vous pouvez lire une excellente présentation par Bruno Guillard sur le site de Polémia.

     

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    Que Noël soit devenu une « fête du consumérisme » est une abjection…

    Au risque de se répéter en filant la métaphore horticole à propos des fameuses « racines chrétiennes » de l’Europe, ne serait-il pas plus opportun d’évoquer des racines païennes, un tronc chrétien et des branches judéo-musulmanes ?

    Plus que fameuses, les « racines chrétiennes » de l’Europe me paraissent surtout fumeuses. Si les mots ont un sens, les racines sont ce qui plonge au plus profond, ce qui touche à l’origine. Or, sans même remonter au néolithique, ou plus haut, il est évident que les racines de l’Europe renvoient à l’Antiquité préchrétienne, en l’occurrence aux cultures gréco-romaines, celto-germaniques et balto-slaves qui sont attestées des siècles, et parfois des millénaires, avant la naissance du Christ. Les poèmes homériques, composés avant même que la Bible ne fût écrite, ne feraient-ils pas partie de nos racines ? Pas plus que les présocratiques, la République romaine, la religion celtique ou les constructions mégalithiques de Stonehenge et de Newgrange ? Soyons sérieux un instant. Nul ne peut nier le rôle du christianisme dans l’histoire de l’Europe, mais parler de « racines chrétiennes » est une autre histoire. Sur le plan spirituel, les racines de l’Europe, ce sont les religions de l’Antiquité. Faire comme si les cultures de l’Antiquité préchrétienne n’avaient pas existé revient tout simplement à amputer la mémoire européenne de sa longue durée.

    Cela dit, votre métaphore horticole me laisse un peu sceptique. Elle évoque une histoire strictement linéaire qui ne me paraît pas correspondre à la réalité. Si l’on veut faire apparaître la pluralité dialectique des éléments ayant contribué à l’histoire de l’Europe, je crois plus fructueux de conjuguer approche synchronique et approche diachronique.

    Jadis fête païenne, puis fête de la Nativité pour les catholiques, Noël est aujourd’hui devenu surtout une fête du consumérisme. Peut-on résumer les choses comme cela ?

    Comme chacun le sait, ou devrait le savoir, les Évangiles (qu’ils soient canoniques ou apocryphes) sont totalement muets sur la date de naissance de celui que ses contemporains appelaient Ieschoua ben Miriam, et que nous connaissons sous le nom de Jésus. Vers 245, Origène déclarera d’ailleurs « inconvenant » qu’on s’occupe d’une telle question. Ce n’est en fait qu’à partir du IIe ou du IIIe siècle que l’on se mit en devoir de fixer une date pour la naissance de Jésus. On produisit alors des affirmations totalement contradictoires. Le De Pascha Computus, longtemps attribué à Cyprien de Carthage, se prononça pour le 28 mars, tandis que les communautés chrétiennes d’Orient en tenaient pour le 6 janvier, date correspondant chez les Grecs à l’Épiphanie de Dionysos. En Occident, la date du 25 décembre s’est probablement imposée pour contrecarrer l’influence du culte de Mithra, dont on célébrait ce jour-là la renaissance annuelle, peu après les Saturnales romaines. C’était également le jour où, sous l’Empire, on commémorait la fête de Sol Invictus, le « Soleil invaincu ». La première mention latine du 25 décembre comme fête de la Nativité remonte à l’an 354, la célébration proprement dite semblant avoir été instituée sous Honorius, qui régna en Occident de 395 à 423. Noël ne deviendra toutefois une fête d’obligation qu’au concile d’Agde, en 506. Justinien, en 529, en fit un jour férié.

    Que Noël soit aujourd’hui devenu une « fête du consumérisme » est évidemment une abjection. L’un des contributeurs de Boulevard Voltaire en a profité, dans une chronique récente, pour mettre en cause « quelque dieu païen de la consommation ». Je serais bien curieux de savoir à quelle divinité il faisait allusion. Dans quel texte sacré du paganisme aurait-il d’ailleurs pu trouver un éloge de la « consommation » ? Dans le Hávamál ? Les Mabinogion ? L’Atharva-Véda ? L’Iliade ou l’Odyssée ? L’ancienne théologie romaine ? La vérité est que la « consommation », au sens que nous donnons à ce terme, est constamment condamnée dans le paganisme antique. Voyez le mythe de Midas, le mythe de Gullveig, la « malédiction de l’or » dans la religion germanique. La consommation marchande relève de cette démesure que les Grecs appelaient hybris – et aussi de cette chrématistique que dénonce Aristote en des termes dénués de toute équivoque. Elle relève enfin du domaine de la production et de la reproduction que les Anciens considéraient comme clairement subordonné à ceux de la guerre et de la souveraineté politique et spirituelle (la « troisième fonction » dans le schéma dumézilien de l’idéologie tripartite des Indo-Européens).

    Vous avez vous-même publié un livre intitulé Fêter noël. légendes et traditions, qui a connu depuis 1982 deux éditions successives. Entre renouveau païen et naissance du Christ, autre forme de renouvellement, quel sens donner aujourd’hui à cette célébration ?

    En Europe, depuis des millénaires, les hommes se sont réunis autour du feu au moment du solstice d’hiver, durant cette période où règnent le froid, l’obscurité et la nuit, pour aider le soleil à reprendre sa course et dire leur confiance dans le retour de la vie. Le sapin de Noël, cet arbre qui reste toujours vert, en est le symbole le plus connu. Quel que soit le sens que l’on donne à ce moment de l’année – les « Douze nuits » qui vont de la Sainte-Lucie des Suédois à Noël ou de Noël au 6 janvier, date de l’ancienne Épiphanie –, qu’il s’agisse de fêter la nativité du Christ ou de célébrer l’éternel enchaînement des saisons, il est toujours question d’une renaissance. À Rome, la déesse du solstice d’hiver était Diva Angerona, que l’on représentait la bouche bandée ou scellée, un doigt sur les lèvres pour commander le silence. Moment de fête joyeuse et de chants émouvants, Noël devrait être en effet également un moment de gravité, de silence et de recueillement. Dans le monde où nous vivons, où la valeur marchande s’est imposée à toutes les autres, on peut même faire de sa célébration un acte de foi : c’est au plus noir de la nuit, lorsque tout paraît froid, triste et glacé, qu’il faut se convaincre que la lumière reviendra.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 29 décembre 2013)

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  • L’activité criminelle est un rêve pour idéologue libéral…

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Xavier Raufer à Boulevard Voltaire dans lequel il explique pourquoi la France est devenue une zone de prédation pour les groupes criminels...

     

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    L’activité criminelle est un rêve pour idéologue libéral…

    Le Monde a récemment consacré sa une au « Nouveau visage de la criminalité organisée ». « Persistance d’un banditisme traditionnel français » et « activité exponentielle des organisations criminelles étrangères ». En prime, « la montée en puissance des organisations criminelles issues des cités sensibles ». La France au cœur de la mondialisation des « mafias » ?

    Exacte ou humaine, toute science dispose « d’invariants ». Ainsi le parachutisme a-t-il pour fondement physique la loi sur la chute des corps. De même, la criminologie a pour invariant l’effet de déplacement. Le bandit ne veut pas battre un record, ni remporter une victoire sur la police mais, comme prédateur opportuniste, tente simplement de résoudre une équation coût-bénéfice : le plus d’argent possible, vite et bien, au moindre risque répressif possible.

    Cet effet de déplacement se décline dans :
    - l’espace – ce sera moins risqué ailleurs ;
    - le temps : ce sera mieux plus tard ;
    - le choix du crime : je délaisse pour l’instant le trafic de stupéfiants, trop pénalisé, pour le proxénétisme, les contrefaçons, etc.

    Voici ensuite un pays dont la justice condamne toujours moins les bandits à la prison ferme – leur seule crainte ! – et dont le ministre concerné, Christiane Taubira, tient clairement plus les malfaiteurs étrangers pour des victimes (racisme, exclusion, discriminations) que pour des criminels ; quand au même moment les pays voisins répriment plus sévèrement ce banditisme, tout en restreignant la migration sur leur sol.

    Cela suscite en direction de la France un imparable appel d’air. Les bandits affluent chez nous, invisibles dans les migrations illicites. Policiers et gendarmes s’échinent ensuite, en vain, à endiguer un torrent criminel que cent ruisseaux grossissent chaque jour.

    Cet effet de déplacement joue aussi dans le pays. La criminalité (vols à main armée, cambriolages, etc.) baisse certes à Paris – mais quel bénéfice si, au même moment, elle explose ailleurs dans le pays ? Si, notamment, le pillage des campagnes s’aggrave ?

    Le Monde signale aussi l’irruption du crime organisé russe, géorgien, albanais, balkanique, roumain ; voire des « motards criminalisés ». Nos usuels voyous maghrébins ou corses seraient-ils débordés ?

    L’activité criminelle est un rêve pour idéologue libéral. Zéro restriction à l’entrée ni régulation, libre compétition sur le « marché de l’illicite ». Enfin, une taxation, elle aussi, nulle. C’est pourquoi, à l’horizon idéal – parfois aussi dans la vraie vie, comme à Wall Street –, les deux parallèles, libéralisme accompli d’un côté, crime organisé de l’autre, semblent se rejoindre, voire se confondre.

    Ainsi, tout nouveau venu aborde à son gré le marché criminel français. Seuls obstacles : notre appareil répressif, dont la branche judiciaire compatit plus aujourd’hui avec les malfaiteurs qu’elle ne les combat vraiment ; et la concurrence de bandes ou gangs rivaux.

    Bandes et gangs, car il n’existe pas en France de mafia indigène. En Europe ou alentours, l’entité spécifique qu’est la mafia – une « aristocratie criminelle » au long cours avec mythologie, initiation, etc. – n’existe qu’en Italie, en Albanie et en Turquie. Les autres pays d’Europe, France incluse, ne « bénéficient » que d’un milieu criminel.

    Nécessaire déplacement… platonisme judiciaire… ouverture de notre « marché criminel » : tout cela explique l’afflux des bandits issus de l’ex-URSS ou des Balkans, des motards criminalisés, etc. Certains exploitent des filons criminels que « notre » milieu délaisse ; d’autres le concurrencent et le combattent. Tous exploitent un manifeste « effet d’aubaine », dont l’incarnation est, bien sûr, madame Taubira.

    Xavier Raufer, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 27 décembre 2013)

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  • Pour une Europe-puissance dans un monde multipolaire !...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Aymeric Chauprade à Boulevard Voltaire et consacré à la question de l'Europe au sein du monde multipolaire...

     

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    «En 1991, après la chute de l’URSS, nous avons manqué une chance historique…»

    Un monde bipolaire pouvait induire un possible choc des civilisations. Mais l’univers multipolaire qui s’annonce est-il forcément plus rassurant ?

    Le monde bipolaire n’était pas le choc des civilisations, il était le choc de deux utopies mondialistes, le libéralisme et le socialisme planétaires, chacune adossée à la logique de puissance d’une nation motrice, les États-Unis et la Russie. Remarquez que la théorie du choc des civilisations a repris de l’actualité juste après l’écroulement de l’Union soviétique, avec Samuel Huntington, quand précisément les Américains, pour ne pas voir leur alliance otanienne connaître le même sort que le pacte de Varsovie, ont tenté de réveiller les représentations civilisationnelles.

    Ce qui s’est passé à partir de 1991 est assez simple. Le projet unipolaire américain (l’Amérique-monde) s’est accéléré, et il lui a été offert d’un coup, par l’effondrement soviétique, des territoires immenses à intégrer dans l’OTAN, comme dans l’OMC. En opposition au projet unipolaire, les émergents importants – Russie, Chine, Turquie, Inde, Brésil – se sont mis à reconstruire leur puissance régionale et à marcher vers la puissance. Seuls les Européens sont interdits de « puissance » par l’Union européenne et donc incapables de préparer l’Europe-puissance dont nous aurions besoin pour affronter les défis à venir. Bien sûr que le monde multipolaire n’est pas plus rassurant que le monde bipolaire. Si nous voulons la paix, il faut en réalité l’équilibre des puissances. La bipolarité a reposé sur l’équilibre de la terreur. La multipolarité doit reposer sur l’équilibre de toutes les puissances, nucléaires ou conventionnelles.

    Est-ce l’occasion pour l’Europe, non pas de retrouver son rôle dominant de naguère, mais au moins de reprendre la main sur l’échiquier mondial ?

    En 1991, après l’écroulement de l’URSS, les Européens ont raté une chance historique. Ils pouvaient décider de s’émanciper des États-Unis (sans se fâcher avec eux, là n’est pas le but !) et construire une Europe-puissance. Mais avec le Royaume-Uni (le général de Gaulle avait vu juste) et une logique d’élargissement à l’Est (intégration horizontale) qui diluait tout effort d’intégration verticale, c’était impossible! Le triste bilan des 23 années qui suivent la fin de l’ère bipolaire, c’est que les Européens ont finalement abdiqué leur souveraineté non pour une « Europe-puissance », mais simplement pour s’arrimer aux USA et la dynamique d’élargissement de l’OTAN. Sur le continent eurasiatique il y a place pour trois blocs de puissance – l’Europe, la Russie et la Chine –, seulement les Américains n’en veulent surtout pas car ils perdraient alors la main sur l’histoire mondiale.

    Ne serait-ce pas le moment, pour la France, de remettre à l’honneur ses vieilles alliances : Turquie, Amérique latine, monde arabe ?

    L’échec géopolitique, économique, social de l’Union européenne doit nous imposer une remise en cause complète du cadre actuel, fondé sur le couple OTAN/UE. Nous devons retrouver notre souveraineté nationale et proposer à nos amis et partenaires européens d’en faire autant (ce qu’ils feront dès lors que nous le ferons), puis refonder le projet européen sur l’idée d’une Europe confédérale et d’un partenariat fort avec la Russie. Les Allemands peuvent ouvrir à la France l’Europe centrale et orientale, tandis que nous pouvons aider les Allemands à se développer outre-mer grâce à notre présence mondiale (nous avons le deuxième espace maritime mondial derrière les Américains, et une grande partie des ressources de demain est en mer). Un véritable protectionnisme européen doit être mis en place sur le plan économique. L’Europe de demain devra aussi avoir une véritable flotte européenne reposant d’abord sur l’alliance de trois puissantes marines – française, allemande et russe – qui ensemble pourront peser autant que la flotte états-unienne, nous assurer une présence maritime mondiale et assurer la sécurité de nos approvisionnements. Tant que nous dépendrons de la thalassocratie américaine, nous ne serons pas indépendants.

    Contrairement à ce que l’on entend souvent, les souverainistes ne sont pas opposés à l’idée européenne, bien au contraire. Ils veulent simplement la refonder sur un authentique projet de civilisation (les racines chrétiennes de l’Europe, l’affirmation de nos identités) autant que de puissance (la puissance ne signifie pas l’agression !), tenant compte des réalités nationales et des complémentarités possibles entre nations européennes. La preuve même que l’Union européenne est en train de tuer la puissance européenne, c’est que tous les budgets de défense nationaux européens sont en train de s’effondrer sans qu’aucune défense européenne n’émerge en échange ! Il y a une règle simple dans la vie, c’est que si un système en place depuis maintenant plus de vingt ans a produit un effondrement identitaire, économique, social, géopolitique de l’Europe, c’est qu’il n’est pas bon et qu’il faut en changer sans plus tarder.

    Aymeric Chauprade, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 11 décembre 2013)

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